La confusion de l'instant, les émotions qui se mélangent et se réunissent dans un tourbillon un peu trop étouffant. Les yeux fermés, les oreilles coupées du monde, ce petit être n'avait pas la moindre connaissance de ce qui l'entourait et pas la moindre idée de la situation qui se déroulait tout autour. Une panique générale - était-elle générale ? - ; l'angoisse qui monte, l'absence de chaleur maternelle. Ce petit être aurait voulu pouvoir se presser contre un corps chaud et rassurant, pouvoir ressentir une sécurité dans tout le noir et le silence qui l'entourait, il n'avait que ça en tête, le petit être. Pourtant, la seule chose qu'il put faire, ce fut d'aller chercher le liquide donnant cette odeur si veloutée, si attirante, et de suivre son instinct qui le mena vers l'effluve. Ce fut la seule chose possible avant que le corps contre lequel il se pressait ne devint froid et que l'incompréhension ne s'installe dans l'esprit du petit être ne connaissant rien de la vie, ne sachant rien.

Un compagnon qui observait le corps immobile de la mère, les larmes qui s'invitaient dans ses yeux tourmentés. Il regardait cette scène morbide, immobile. Il ne réagit que lorsque le petit être se mit à bouger et gémir. Le compagnon prit quelques instants avant de prendre par la peau du cou le petit louveteau qui n'était rien d'autre qu'une femelle. Elle ne bougeait pas, docile, comme saisit par l'urgence de la situation. Mais elle était trop jeune pour comprendre, pour savoir et encore plus pour se souvenir. C'était sans doute bien mieux pour la petite de ne pas se souvenir, de ne pas savoir. Ne pas savoir la fuite, ne pas savoir les menaces prodiguées, ne pas savoir la douleur de la mère et l'inquiétude du père, ne pas savoir les problèmes que ce couple s'est attiré. Ne pas savoir. Ne pas connaître. Ne pas connaître tout le passé trouble qui entoure le couple de parents qu’elle avait, qu’elle aurait dû avoir.
Ne pas connaître ce père - ou celui qu'on prenait pour le père - qui n'avait rien pour lui. Un solitaire qui n'était rien de plus qu'un banni qui avait comploté avec l'ennemi pour sa compagne, pour l'élue de son coeur. Ce même père avait tué l'un des siens pour protéger la louve qu'il chérissait et le bannissement survint, propulsant le père à l'état d'indésirable auprès de la tribu qu'il avait toujours connu. Néanmoins, il n'avait pas prévu qu'un loup déséquilibré ne s'entiche lui aussi de la femelle qu'il aimait. En se promenant sur les terres libres, Satyr - il s'était renommé après le bannissement - réfléchissait à ce passé trouble et à toutes les épreuves qu'ils avaient dû traverser ensemble jusqu'à aujourd'hui. Il se souvenait du regard de l'un des guerriers du Clan qui le suivait, qui le dévisageait, alors qu'il sortait du camp la tête et la queue basse. Il se souvenait de la confrontation qui les avait opposé plus tard, quand ce guerrier affirmait sa légitimité sur la louve solitaire que Satyr aimait par-dessus tout. Obsédé. Le guerrier était obsédé par Helya - la compagne de Satyr. Tellement obsédé qu'il avait quitté le Clan pour pourchasser les deux solitaires. Devenu Tyr. Il estimait qu'Helya devait être à lui ou seule.

Satyr et Helya avaient dû se battre contre des loups qu'avait regroupé Tyr. Ils avaient dû fuir, se cacher et entre eux trois s'était installé un jeu de course-poursuite. Ils se cachaient, il les débusquait, ils fuyaient, il les pourchassait. Satyr s'arrêta quelques instants. Il refusait d'offrir cette vie à la petite boule de poils qu'il tenait entre ses crocs. Il aurait peut-être pu la sauver si un loup maigre et si agressif ne l'avait pas attiré près des Rochers Suspendus. Peut-être. Mais quand il avait réussi à ne pas tomber - c'était son adversaire qui était tombé - et qu'il était retourné là où Helya avait commencé sa mise à bas, l'hémorragie était beaucoup trop importante et elle n'avait pas survécu. Il n’avait rien pu faire sinon l’observer, figé, l’horreur dans l’âme et la tristesse qui le prenait déjà. Il n’avait rien pu faire d’autre que de prendre le petit être qui venait de se nourrir - malgré le peu de lait que contenait les mamelles. Et maintenant, il se promenait sur les territoires qui n’appartenaient à aucun Clan, ne sachant pas quoi faire et comment protéger la petite du courroux de Tyr’. La petite se devait de pouvoir grandir sans la peur qui avait habité les yeux de sa mère, sans la panique qui nouait l’estomac de son père. Elle devait grandir en dehors de la fuite permanente qui effrayait les deux loups, qui les épuisait. Elle devait pouvoir grandir loin de tout ça et pour cela, il allait devoir se séparer d’elle. Prendre une chance immense et considérable pour avoir la chance de lui offrir un avenir digne de ce nom.

Il était maintenant près des terres Umbra. Plus tard, peut-être qu’on se demanderait pourquoi ce Clan précisément, pourquoi pas Nivalis ou encore Aeris, parce que la petite aurait pu évoluer dans n’importe quel Clan qui aurait accepté sa présence. On se demandera peut-être pourquoi le choix s’est arrêté sur Umbra sans jamais savoir qu’il n’y a pas de raisons. Que la seule motivation pour diriger le choix sur le Clan Umbra, c’était l’urgence du moment et la présence du père aux alentours des terres Umbra. Pas d’autre raison que le fait que ce soit Umbra qui était près de Satyr. Ça aurait pu tomber sur les Ignis ou les Nivalis ou même les Aeris, mais ce n’était pas le cas, il était près des territoires appartenant aux Umbra. Alors c’est tombé sur eux. Il s’était avancé, alerte, pour ne pas tomber sur une patrouille et il avait déposé la petite qui s’était endormie pendant le trajet. Il avait enfoui sa tête dans le corps chaud et pourtant tremblant de son enfant et il s’était retourné en espérant qu’une patrouille arrive rapidement pour ne pas que cette louve ne voit sa vie s’éteindre comme sa mère. Il ne pouvait pas attendre, lui, il devait partir. Il devait fuir, le plus loin possible pour ne jamais se faire retrouver.

C’est le corps totalement froid et le souffle presque inexistant que le petit être fut retrouvé par une patrouille passant par là. À cet âge, on ne pouvait survivre sans mère pendant longtemps et rapidement la température corporelle déclinait. Si les Clans étaient hostiles aux étrangers, ils ne laisseraient jamais un tout petit loup sans défense perdre la vie devant leurs yeux. Alors elle fut ramené au sein du camp et laissée sur la supervision d’une reine qui avait eu une portée une lune auparavant. Pétale de Rose avait encore du lait et le guérisseur donna des plantes à la mère pour que le lait soit suffisamment abondant pour permettre à l’enfant de survivre. Il fallut forcer la petite louve à avaler le lait et la réchauffer pendant de longues heures avant qu’elle ne remue et qu’elle ne montre qu’elle se rétablissait légèrement : qu’elle vivrait. Ils ne savaient même pas si elle allait passer la nuit. La température n’était pas la plus clémente lorsque le soleil venait à se coucher. Pétale de Rose serra tendrement la nouvelle venue dans sa famille. Petit Soleil et Petite Lumière rentrèrent dans la pouponnière lorsque la nuit approchait et prirent connaissance de leur nouvelle soeur. Contrairement à beaucoup de louveteaux qui se seraient montrés jaloux et sans doute hostiles, ils l’acceptèrent tout de suite et avaient hâte de la voir ouvrir les yeux. Ils se collèrent contre elle et s’endormirent.

Pétale de Rose les regarda pendant un long moment et sourit. Elle avait déjà décidé du nom que sa nouvelle fille allait porter. Cette petite louve était arrivée sans qu’on ne sache la moindre information à propos d’elle, et l’odeur qui l’entourait n’était pas connue ; elle venait d’ailleurs, sûrement d’un couple de solitaires. La reine jugeait très sévèrement les solitaires et encore plus maintenant qu’elle avait contre elle une petite délaissée en pleine mauvaise saison. Cette petite était un mystère à elle seule et le nom Petit Mystère lui sieait donc à merveille. C’est ainsi qu’elle se nommerait. Petit Mystère parce qu’elle n’était rien d’autre qu’un mystère. Peut-être qu’elle avait un nom, mais si jeune, elle ne s’en souviendrait même pas. Et la provenance de ses parents ne pouvaient même pas être déterminée avec certitude. Pétale de Rose se demandait même comment elle avait fait pour s’accrocher à la vie. Petit Mystère était maintenant sa fille. Peu importe le mystère qu’elle était. Elle était sa fille et même si elle n’était qu’adoptive, elle comptait déjà énormément.




Le noir. Le noir était partout et avait envahi tout son être, la laissant dans une inconscience prolongée.

PUF : Le surnom que tu utilises actuellement sur internet
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